Aux Etats-Unis, les camions à hydrogène plus vertueux que l'électrique

Philippe SCHWOERER
13.05.2022 à 14:00

En se limitant à son territoire, l’Institut américain de recherche sur les transports (ATRI) estime que les camions de plus de 15 tonnes qui tirent leur énergie d’une pile à combustible à hydrogène sont les plus légers pour l’environnement face aux modèles diesel et électriques à batterie.
 
Intitulée « Comprendre les impacts CO2 des camions zéro émission : Une analyse comparative du cycle de vie des camions électriques à batteries, à pile à combustible hydrogène, et diesel traditionnels », l’étude publiée par l'ATRI s’appuie sur des données fédérales et industrielles.
 
Les rédacteurs entendent attirer l’attention des professionnels concernés avant la prise de décisions qui pourrait avoir des répercussions financières importantes à court terme et dans la durée. Et ce, du fait du surcoût à l’acquisition des modèles à zéro émission. Ils estiment que cet effort pourrait être disproportionnés et inutiles si les promesses de réduction des émissions carbonées ne sont pas au rendez-vous.
 
Selon l’ATRI, pour bien apprécier les avantages des camions fonctionnant avec les nouvelles énergies, en matière d’impact sur l’environnement et de retour sur investissement, il est important de ne pas s’arrêter à la seule phase d’exploitation des véhicules.
 

Comparaison sur le cycle de vie complet

L’institut préconise d’effectuer les comparaisons entre les diverses technologies sur le cycle de vie complet des engins. Ce qui comprend l’extraction des matières premières, la fabrication des véhicules y compris les batteries et pile hydrogène, la production de l’énergie (raffinage du pétrole, par exemple) et sa consommation par les camions, l’élimination et le recyclage.
 
Aux Etats-Unis, le transport pèse 29 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). L’ATRI souligne qu’auparavant, c’est la production d’électricité qui se trouvait en première ligne, désormais redescendue à 25 % en privilégient le gaz naturel (39,6 %) au charbon (20 %). Le mix énergétique se complète de 20,4 % de nucléaire, 19,4 % de renouvelable, 0,4 % d’huile résiduelle, et 0,3 % de biomasse. Ce qui n’est toutefois pas suffisant pour obtenir un mix énergétique vraiment vertueux. En nous focalisant sur les types de véhicules, les poids lourds sont responsables de 24 % des GES outre-Atlantique, en sandwich entre les voitures particulière / utilitaires légers (58 %) et l’aviation (10 %).

Aux Etats-Unis comme ailleurs dans le monde, les programmes pour une mobilité décarbonée s’enchaînent. Par exemple, la Californie exige pour 2035 que 75 % des nouveaux camions porteurs vendus neufs, et 40 % des tracteurs routiers, soient « zero émission ». Cinq ans plus tard, ils devront tous être ZE.

Une autre feuille de route réunit 17 états qui visent un objectif de 30 % de camions lourds et moyens sans émission en 2030, et 100 % en 2050. Fin 2021, pas plus de 1 215 camions répondant à cette définition étaient en circulation aux Etats-Unis, avec une très grande majorité de modèles électriques à batterie. C’est peu au regard des 23 millions d’unités en exploitation dans le vaste pays.
 
L’ATRI compare avec les améliorations réalisées sur les diesels. Selon l’institut, entre 2011 et 2018, elles ont permis d’éviter de libérer dans l’atmosphère quelque 126 millions de tonnes de GES, et d’économiser presque 55 milliards de litres de carburant. Concernant les émissions d’oxydes de carbone, 60 camions diesel de nouvelle génération ne sont pas plus émissifs qu’un modèle vendu neuf en 1988.
 

Des nouvelles technologies qui se paient

Entre 135 000 et 150 000 dollars : c’est le prix d’un tracteur routier diesel actuellement aux Etats-Unis. Contre un maximum de 450 000 dollars pour un modèle électrique à batterie, et 200 000 à 600 000 dollars avec un système à pile hydrogène. Ce dernier pèserait 60 % de cette somme. En défaveur a priori de cette solution, un prix élevé du kg d’hydrogène, aux alentours des 16 dollars.
 
De quoi favoriser les camions électriques à batterie ? Pas vraiment ! L’ATRI dénonce, les concernant, une dépendance quasi totale aux matériaux (lithium, graphite, cobalt, manganèse et nickel) qui entrent dans la composition des accumulateurs. L’institut estime que les 3 technologies permettent à un camion de parcourir de l’ordre de 1,6 million de kilomètres.
 
Avec ses réservoirs de 1 365 litres et un poids à vide de 8 260 kg environ, c’est le diesel qui offre l’autonomie la plus importante : entre 3 000 et 3 500 km. Des chiffres qui ne peuvent être égalés avec une batterie d’une capacité énergétique de 1 622 kWh. Un tel pack apporterait 915 à 1 145 km de rayon d’action sur un véhicule ainsi alourdi à 14 520 kg (7 723 kg pour la batterie lithium-ion). Un modèle à pile hydrogène fait un peu mieux (1 050-1 315 km) en étant plus léger (9 680 kg, dont 2 090 kg pour les réservoirs H2, 692 kg pour la PAC et 92 kg pour la batterie tampon).
 

 

Emissions de CO2 à la construction

C’est la batterie qui plombe les émissions de CO2 à la construction du camion électrique : 216 842 kg, dont 189 100 kg rien que pour le pack.
 
A côté, les modèles diesel et hydrogène feraient plutôt dans le "light", avec respectivement 33 896 et 52 400 kg. Entre les 2, le poids des émissions de CO2 spécifiques aux composants, hors assemblage, est, dans une moindre mesure, emporté par la pile à combustible : 44 156 contre 25 447 kg.
 
Aux Etats-Unis, par rapport à un camion électrique et ses 2 batteries de 1 622 kWh (la deuxième remplaçant la première à 800 000 km), le volume des émissions de CO2 à la construction est plus basse de 75,8 % avec le modèle à hydrogène, et 84,4 % pour le diesel.
 

 

Emissions de CO2 en roulant

L’institut américain a chiffré la consommation totale pour qu’un camion parcourt 1,6 million de kilomètres : 632 280 litres de gazole pour le modèle diesel, 2 280 897 kWh avec l’électrique à batterie, et 94 251 kg d’hydrogène gris en leur préférant une architecture à pile H2.
 
Ainsi, ils libèreraient respectivement dans l’atmosphère 1 645 134, 936 822 et 876 532 kg de CO2. On note que, même avec de l’hydrogène obtenu du craquage de la molécule de méthane, le camion à hydrogène fait mieux que l’électrique par rapport au modèle diesel : 46,7 %, contre 43,1 % d’émissions en moins. Et ce, en raison d’un mix énergétique pas suffisamment avantageux outre-Atlantique pour produire de l’électricité.
 

Emissions de CO2 au recyclage

Concernant les émissions de CO2 lors de la phase de recyclage des camions, l’ATRI reconnaît 2 choses. Tout d’abord que c’est la période du cycle de vie qui présente l’impact le plus faible sur l’environnement. Ensuite, qu’il existe 4 méthodes pour le traitement des batteries lithium-ion, avec des différences très importantes sur les dégagements des GES.
 
A ce jour, il n’est pas possible de connaître celle qui sera privilégiée dans quelques années. En procédant par fusion, les chiffres s’envolent pour le modèle électrique : 35 182 kg. L’approche physique est la plus légère, avec ses 9 129 kg. Entre les 2, les procédés de lixiviation qui sont plus ou moins émissifs selon l’origine des produits chimiques employés.
 
Devant l’incertitude, les rédacteurs de l’étude ont décidé de retenir pour chacun des groupes motopropulseurs une valeur moyenne calculée sur les chiffres des 4 méthodes. Ce choix ne rend pas pour autant exagérément approximatives les comparaisons entre technologies de groupes motopropulseurs, car le poids de la phase de recyclage est minime sur les émissions totales. Pour revenir au camion électrique, l’institut propose de retenir 21 888 kg de CO2. Ce qui, en ajoutant le démantèlement du véhicule lui-même, donne un total de 22 917 kg. A ce jeu, le meilleur élève est le modèle diesel : 1 028 kg tout compris. Le poids lourd H2 fait à peine moins bien avec ses 1 290 kg de CO2 émis lors de son recyclage.
 

Emissions totales de CO2

Construction, utilisation et destruction : l’institut américain a pu obtenir par addition les émissions totales de CO2 sur le cycle de vie complet des véhicules.
 
Sans surprise, le camion diesel affiche le bilan le plus lourd avec ses 1 680 058 kg. Aux Etats-Unis, le modèle électrique permet de réduire de 30 % les chiffres (1 176 581 kg) avec l’actuel mix américain. Mais l’engin alimenté à l’hydrogène gris fait encore mieux : - 44,6 %, pour 930 217 kg de CO2 libérés.
 

 
L’ATRI a également effectué des comparaisons en ajoutant d’autres carburants. Le GNL ferait un peu moins bien que l’électrique à batterie aujourd’hui. En revanche, les biocarburants comme le B100 et le gazole renouvelable semblent les mieux placés. Par rapport au gazole, et sur la seule phase de consommation, les gains sont très importants, avec respectivement : -72,4 et -68,7 %.
 
L'institut a toutefois noté quelques soucis d’utilisation. Les performances du moteur sont altérées avec le B100 sous des températures très basses. Le gazole renouvelable peut causer des problèmes s’il est transporté par du matériel ayant auparavant reçu du carburéacteur pour l’aviation.

L’institut américain met en garde les décideurs : convertir à l’électrique les flottes de camions nécessite de connaître quelques spécificités. Tout d’abord l’influence des appareils de chauffage et climatisation sur l’autonomie des véhicules, déjà très en retrait par rapport aux modèles diesel. S’y ajoute le comportement des batteries selon la température extérieure. Par temps froid, les réactions chimiques dans les packs sont ralenties. Si les cellules s’échauffent, leur durée de vie peut diminuer de façon importante.

 
En outre, le poids des accumulateurs peut réduire de beaucoup celui réservé aux marchandises transportées. Ce qui sera nettement moins le cas avec une architecture à pile à combustible. Les rédacteurs de l’étude ont ainsi calculé, en tenant compte de la masse du tracteur routier et de celle de la remorque, la capacité d’emport. Lorsqu’elle est de 8 tonnes avec un modèle diesel, elle tomberait à 1,775 tonne avec l’électrique à batterie. Ce qui pourrait imposer d’effectuer plusieurs voyages pour transporter le même volume de marchandises. D’où un impact carbone alourdit, en plus des dépenses supplémentaires. Le camion à PAC H2 serait bien plus intéressant avec ses 6,6 tonnes de charge utile.
 

Vers l’hydrogène vert

L’évolution vers un meilleur mix énergétique pour produire l’électricité des recharges destinée aux camions électriques (-19,4 % et -33,7 % des émissions de CO2 par rapport à aujourd’hui respectivement en 2030 et 2050) ne détrônera pas la solution à pile hydrogène qui bénéficiera dans le même temps d’une montée en puissance de l’hydrogène vert avec des effets puissants sur l’impact carbone durant le cycle de vie.
 
L’étude se termine avec des chiffres qui accordent définitivement la première place à l'hydrogène aux Etats-Unis. Ainsi, sur le cycle de vie complet, par rapport au camion diesel, l’électrique à batterie permet de réduire les émissions de CO2 de 30 % aujourd’hui, avec une estimation à -48,8 % en 2050. Avec l’hydrogène gris, le gain est déjà de 44,6 %. Mais en exploitant l’électrolyse couplée avec des panneaux solaires, il serait incroyablement élevé : 91,2 %. Pour comparaison, le gazole renouvelable en sera loin avec ses 67,3 %.