Comment Airbus prépare le décollage de l'avion à hydrogène

Philippe SCHWOERER
13.09.2021 à 08:00

Poursuivant son cycle de conférences consacré à la filière hydrogène, la Société d’encouragement pour l’industrie nationale avait invité Christophe Arnold, responsable chez Airbus des infrastructures pour les énergies nouvelles. Il a présenté la vision de l’avionneur pour la décarbonation du transport aérien.

Une question de neutralité carbone

Un peu partout autour du monde, les territoires affichent des ambitions à plus ou moins long terme pour la neutralité carbone. La Chine a communiqué récemment sur une feuille de route à échéance 2060. Aux Etats-Unis, des millions de dollars vont être mobilisés pour renouveler les infrastructures des aéroports. 

L’Europe vise une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à leurs niveaux de 1990. L’hydrogène, gazeux et liquide, est au cœur de ce programme avec l’installation de stations de ravitaillement sur les grandes voies commerciales du réseau TNT. Les grandes compagnies aériennes, comme American Airlines, Oneworld, EasyJet, Delta, etc. dévoilent les unes après les autres leurs stratégies bas carbone.

Décarboner l'aviation : "Il n'y a pas de solution magique"

« La décarbonation de l’aviation, ce n’est pas simple. Il n’y a pas de solution unique, de solution magique. C’est un ensemble de mesures qu’on doit prendre pour atteindre les objectifs du secteur », a prévenu Christophe Arnold. 

Pour illustrer son propos, le représentant d'Airbus a cité le Groupe d’action du transport aérien. Dans son rapport, l’organisme qui fédère le secteur au niveau mondial entrevoit la neutralité carbone dès 2060, avec réduction de 50 % en 2050 par rapport au niveau de 2005. 




Pour cela, différents leviers sont à activer progressivement. C’est tout d’abord le renouvellement des flottes d’avions par des modèles plus légers et plus aérodynamiques qui consomment 20 à 30 % en moins de kérosène. Il est ensuite nécessaire d’améliorer les opérations. Ainsi la réduction des temps d’attente pour atterrir permettrait de diminuer de 10 % les émissions. 

Autre voie à suivre : la capture du CO2 en dehors du secteur aérien, pour alimenter les dispositifs de compensation carbone. « Le levier le plus important qui va être à notre disposition, c’est la mise en œuvre des carburants durables », a souligné le responsable chez Airbus.

Les carburants durables

Première solution déjà disponible et encore à développer pour des carburants durables : les biofuels produits à partir de la biomasse. Plusieurs générations de ces produits de plus en plus performants vont se succéder. Mais leurs volumes vont être limités, en particulier par les besoins en matières premières de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire. 

Pour disposer d’une énergie bas carbone, il faut exploiter les sources renouvelables (solaire, éolien). Ce mécanisme est à la base des carburants synthétiques « Power-to-Liquid » produits en combinant du CO2 contenu dans l’air et de l’hydrogène vert obtenu par électrolyse. « Le Synthetic Fuel a un potentiel de développement énorme », a mis au jour Christophe Arnold. Mais la solution ultime est d’utiliser l’hydrogène comme carburant directement dans les avions.



Quelle énergie est la meilleure ?

« Airbus travaille depuis des années sur les projets de décarbonation pour trouver son chemin énergétique. L’entreprise a poussé des études très sérieuses pour comprendre quelle énergie est la meilleure », a expliqué Christophe Arnold. Il a listé : méthane, butane, éthanol, méthanol, ammoniac, les batteries et d’autres énergies. 

« On est arrivé à la conclusion que l’hydrogène est le vecteur d’énergie vraiment le plus prometteur », a rapporté le conférencier. « C’est une molécule versatile qu’on peut utiliser sous plusieurs formes », a-t-il poursuivi. En plus des carburants synthétiques pour lesquels le bilan carbone est également neutre, l’hydrogène peut être utilisé directement dans des turbines à gaz modifiées. « C’est quelque chose que l’on sait faire et les techniques se sont pas mal développées », a commenté le responsable chez Airbus. 

En outre cette solution élimine quasiment les oxydes d’azote et les trainées de condensation. Mais ce produit peut aussi servir à alimenter des moteurs électriques en passant par des piles à combustible. Avec un bilan environnemental encore meilleur.

Les avions à hydrogène imaginés par Airbus

A partir du moment où Airbus a retenu l’hydrogène pour vecteur d’énergie, il lui restait à imaginer les avions qui pourraient l’exploiter. En septembre 2020, trois concepts ont été dévoilés. 

Le Turboprop dispose de la silhouette d’un actuel ATR à 2 moteurs à hélice acceptant l’hydrogène liquide. Il serait capable de transporter une centaine de passagers sur 1 800 km. 

Similaire à un A320, le Turbofan, doté d’une autonomie de 4 000 km, pourrait embarquer jusque 200 voyageurs. Comme le précédent, sa propulsion hybride fonctionne avec de l’hydrogène liquide. 

Enfin, avec les mêmes chiffres que le Turbofan, un avion de type aile volante baptisé Blended-Wing Body. Il offre la meilleure aérodynamique, et une forme qui permet de bénéficier de grands volumes de stockage pour les réservoirs hydrogène.

Si l’avionneur a communiqué exceptionnellement aussi tôt sur ces aéronefs, c’est parce que leur avenir dépend également d’acteurs extérieurs qui doivent participer d’une manière ou d’une autre à leur développement. Ainsi les aéroports, les énergéticiens, les régulateurs, etc. 

Un premier modèle pour 2035

Du fait d’études plus poussées à réaliser concernant son comportement en vol et dans les aéroports, le Blended-Wing Body ne serait pas le premier à apparaître sur le marché. En outre se pose la question de l’accueil du public pour les cabines sans hublots. 

En novembre 2020, Airbus a présenté un quatrième concept. Il est très différent dans son architecture de propulsion, puisqu’il exploite 6 moteurs électriques alimentés par des piles à combustible hydrogène. 

L’objectif de l’entreprise est de lancer sur le marché dès 2035 un premier avion fonctionnant avec ce produit. A échéance 2025, un démonstrateur volant serait opérationnel, sur la base d’un A380 modifié. Il permettra aux compagnies aériennes de se projeter sur cette nouvelle technologie. 

Des briques technologiques à développer

Au cours de son intervention, Christophe Arnold a énuméré les briques technologiques qui restent à développer en matière de mobilité aérienne à hydrogène. A commencer par les réservoirs cryogéniques (double peau, nouveaux matériaux) qui devront conserver le produit à -253° C pour une quantité de l’ordre de la tonne.

Ce sont ensuite les piles à combustible d’une puissance très importante et offrant des niveaux de fiabilité compatibles avec l’aéronautique. Sur ce sujet, Airbus a commencé à travailler avec le spécialiste allemand Elring Klinger. Il reste encore à progresser sur la distribution de l’hydrogène, les moteurs électriques, les turbines à gaz, etc.


Un écosystème à revoir

« Aujourd’hui, nous devons procéder à un shift énergétique dans les aéroports », a exposé Christophe Arnold. Pas besoin d’attendre de tous les équiper pour démarrer la mobilité aérienne à hydrogène. Il suffirait d’en faire évoluer 250 à 300, sur les plus de 3 000 sites commerciaux existants aujourd’hui dans le monde, pour « capturer une grosse partie du marché ». 

En remplissant les réservoirs de façon à effectuer un aller-retour, le nombre d’aéroports capables de délivrer de l’hydrogène pourrait être plus limité encore. D’où une étude stratégique à effectuer pour définir les points géographiques, en tenant compte de zones prioritaires à pourvoir. Parmi les critères prépondérants : l’importance du trafic aérien, mais aussi les politiques territoriales de développement de ce vecteur d’énergie qui influent sur les prix des carburants.

40-50 millions de tonnes d’hydrogène par an en 2050

En 2050, les besoins en hydrogène pour l’aviation se chiffreraient à 40-50 millions de tonnes à l’année. Dimensionner et rendre visibles les besoins permet à tous les acteurs concernés - dont les énergéticiens -, de se préparer à une telle croissance.

Christophe Arnold prévient, qu’en amont, un cadre réglementaire pour définir les standards et les normes doit être mis en place. Cette phase demandera pas mal de temps de développement. Sans ce travail pour la sécurité et la gestion de l’hydrogène dans la mobilité aérienne, les partenaires du secteur peineront à se mettre pleinement en route. C’est l’adoption d’un cadre réglementaire qui débloquera le plus gros des investissements.


Cycle gratuit de conférences

Soutenu par la Fondation Energy Observer et la plateforme Leonard de prospective et d’innovation du groupe Vinci, le cycle de conférences prend la forme de webinaires auxquels il est possible d’assister gratuitement. Celui programmé mercredi 8 septembre dernier, était dédié à la mobilité aérienne et maritime. Nous allons lui consacrer 2 volets supplémentaires.

La prochaine conférence programmée par la Société d’encouragement pour l’industrie nationale traitera des usages industriels de l’hydrogène. Rendez-vous est donné pour le mercredi 6 octobre 2021.