Hydrogène et sécurité : les risques expliqués par les experts de l'Ineris

Hydrogène et sécurité : les risques expliqués par les experts de l'Ineris
Expert public pour la prévention des risques technologiques, l’Ineris avait programmé jeudi 20 octobre 2022 un webinaire traitant des problèmes spécifiques posés par l’hydrogène, et de la mise en place de moyens pour l’exploiter avec un maximum de sécurité. H2-Mobile a suivi cette conférence qui a rassemblé de l’ordre de 300 personnes de l’autre côté des écrans.
 
Chargé de mission hydrogène pour l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), Franz Lahaie a débuté la présentation avec les perspectives de croissance pour ce produit de plus en plus courtisé pour la mobilité durable. En une trentaine d’années, et à l’échelle mondiale, les volumes consommés pourraient être multipliés par 6. Et ce, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. En France, un objectif de 342 000 tonnes d’hydrogène décarboné a été fixé pour booster la mobilité hydrogène sur la période 2020-2030.

En passant de 40 à 1 000 stations, le réseau d’avitaillement serait capable de servir 300 000 voitures particulières et utilitaires légers (contre 400 en 2020) et 5 000 poids lourds (bus, bennes à ordures ménagères, camions dont semi-remorques frigorifiques). S’ajouteraient 250 trains et un millier de bateaux. D’autres chiffres sont attendus à la hausse pour accompagner ces croissances, comme la pression de stockage qui pourrait excéder les 1 000 bars, et la puissance des usines de production. Celle des électrolyseurs grimperait de quelques mégawatts à plusieurs gigawatts.


 

Transport à plus longues distances

Produit principalement aujourd’hui avec des processus au bilan carbone élevé, l’hydrogène est le plus souvent consommé à proximité avec un transport sous forme gazeuse par des canalisations dédiées ou par la route. Même simplifiée, la chaîne de valeur pour ce produit dans les années à venir va être bouleversée. La production va devenir plus vertueuse avec l’électrolyse à partir de sources vertes, mais aussi l’exploitation de l’hydrogène naturel, de la biomasse et des processus en coproduction.

La molécule hydrogène sera à retrouver dans des produits de synthèse comme l’ammoniac, le méthanol, et les e-carburants. Egalement sous forme liquide. D’où une adaptation des moyens pour le transport (canalisation à longues distances, rail, route) et le stockage (matériaux solides, cavernes salines, etc.). De nouveaux usages vont être développés, en particulier pour l’équilibrage des réseaux électriques, le fonctionnement des groupes électrogènes, la production de chaleur, etc.
 

Sécuriser les nouveaux usages et procédés

Les nouveaux procédés et usages vont devoir être sécurisés de façon spécifique, « avec une fourchette d’incertitudes encore assez large aujourd’hui », a reconnu Franz Lahaie.

Dans le cas d’une simple station-service et de tout ce qui gravite autour, en amont et en aval, tous les acteurs, même ceux qui ne sont pas encore familiers avec l’hydrogène, vont devoir s’approprier le volet sécurité pour leur part. Ainsi, sans être exhaustif, les fournisseurs de réservoirs et PAC, les constructeurs de véhicules, les fabricants des distributeurs H2, les entreprises de mobilité, les énergéticiens, les porteurs de projets, etc.

D’où une sensibilisation aux risques (formation des ingénieurs et techniciens, communication auprès des utilisateurs et du public), une normalisation avec certification des systèmes, un partage des expériences en incidents des frontières, l’évaluation des effets des phénomènes accidentels et l’adaptation du cadre réglementaire. Pour cette dernière, des questions spécifiques sont à se poser au sujet de la mobilité lourde, par exemple dans des lieux comme les ports, aéroports, tunnels, parkings souterrains, etc.
 

Caractéristiques principales

Responsable d’affaires, d’études et de recherche pour l’Ineris, Benno Weinberger a ensuite balayé pour ce webinaire intitulé « Sécurité de l’hydrogène : et si on en parlait » les propriétés fondamentales de cet élément de numéro atomique 1.

Pour rappel, il est en particulier très léger, mais aussi inodore, incolore, non toxique et non corrosif. Sa quantité d’énergie est environ 2,5 fois plus élevée par kilogramme par rapport à l’essence et au gazole, mais entre 4 et 10 fois moins en raisonnant en litre, selon que la molécule H2 est comprimée à 500 ou 700 bars, ou encore à l’état liquide.

Avec une flamme peu visible, elle présente une plage d’explosivité beaucoup plus grande que le méthane (4-75 % contre 1 -15 %) avec des nuages réactifs plus étendus, un besoin environ 12 fois moins important en énergie pour son inflammation qui impose de maîtriser les risques électrostatiques, et une vitesse de combustion bien plus rapide (3,3 vs 0,5 ms) qui se traduit par des déflagrations plus violentes. En outre, l’hydrogène peut fragiliser des matériaux non adaptés (fissuration, cloquage, formation d’hydrures).
 

Séquences accidentelles

Avec une fuite d’hydrogène gazeux, plusieurs scénarios et effets peuvent se produire. Lors d’une dispersion sous pression, avec une source d’inflammation, on obtient un feu de type torche avec effets thermiques.

C’est par exemple le cas d’une voiture H2 en flamme dont le gaz est libéré avec l’augmentation de la pression à l’intérieur du réservoir. Dans un espace confiné, et même en extérieur, l’inflammation retardée peu créer une explosion avec des effets thermiques et de surpression. Comment peut-on en arriver à des fuites d’hydrogène ? Parmi les différentes causes déjà connues : la corrosion, les vibrations, l’usure, la fatigue suite aux variations de pression, les agressions mécaniques ou chimiques, une erreur humaine au niveau des raccords (inadaptés ou mauvais couple de serrage), un problème d’inertage, etc.
 

Etudes d’accidents

Plusieurs bases recensent les accidents. Sur les 213 dénombrés dans un rapport publié par l’Aria (Analyse, recherche et information sur les accidents), 84 % concernent des incendies et/ou explosions, et 16 % portent sur des fuites non enflammées, des emballements sans explosion et des corrosions détectées en amont. Au total, 25 décès (12 % des accidents) ont été déplorés, uniquement auprès des salariés des entreprises concernées, et lors d’interventions de maintenance. Concernant les blessés : 70 (33 %), dont 28 graves (13 %), rarement parmi le public ou les secouristes. Par 8 fois cependant (3,8 %), la population avoisinante a été évacuée. Et ce, en plus des dommages matériels internes (89, soit 42 %) et externes (17, soit 8 %).

Concernant les 80 cas de défaillances recensés, des joints et vannes en étaient à l’origine pour 29 %, des problèmes de corrosions pour autant, et 18 % ont été causés par des anomalies au niveau des automatismes ou de l’instrumentation. Globalement, « plus de 70 % des accidents impliquant de l’hydrogène et dont les causes sont connues ont une origine organisationnelle ou humaine », a noté Benno Weinberger.
 
 
« Les clés essentielles pour maîtriser la sécurité, c’est la formation »
 
Lorsque les incidents sont liés aux systèmes de tuyauterie incluant les vannes et raccords, il s’agit, selon la base Hydrogen Tools, de matériel mal dimensionné, mal installé, ou mal étiqueté entraînant des erreurs opérationnelles, mais aussi des fuites dues à une maintenance insuffisante. S’ils se produisent au niveau des systèmes de stockage, c’est du côté des disques de rupture, des soupapes de surpression, de l’infiltration d’oxygène, ou d’une pression trop importante des réservoirs infligée par les opérateurs qu’il faut rechercher.

De façon récurrente, les erreurs d’origine humaine concernent des manques de suivi des procédures écrites, des actions inattentives sur les équipements, des lacunes en formation (propriétés de l’hydrogène, conséquences possibles en cas de fuite, fonctionnement des équipements, etc.). « Les clés essentielles pour maîtriser la sécurité, c’est la formation », a souligné Benno Weinberger.

Lors d'un entretien de routine, un joint  usé a été accidentellement remplacé par un joint plus petit, ce qui a entraîné une fuite progressive dans une conduite d'hydrogène. La fuite n'a pas été détectée pendant les tests  et s'est enflammée lorsqu'elle a été exposée à l'électricité statique.  Source : Detectape.com

Modélisation et expérimentation

Bien connaître les risques liés à l’hydrogène, c’est savoir reproduire et modéliser les scénarios, un travail que poursuit pour l’Ineris Jérôme Daubech, ingénieur étude et recherche. Il s’agit d’évaluer au plus juste les conséquences en termes de distance, par exemple, des effets thermiques ou de surpression d’une fuite enflammée et/ou d’une explosion d’un nuage hydrogène-air.

Différentes formes de fuites coexistent : panache avec un tout petit débit, jet turbulent avec une pression de quelques bars, feu torche si inflammation immédiate avec une pression plus importante, explosion si inflammation retardée. Jérôme Daubech a mis en place une méthodologie pour appréhender les violences d’explosion selon différents facteurs, dont le débit de la fuite. Mais aussi lorsqu’il y a confinement possible, comme dans les conteneurs ISO qui accueillent des éléments pour l’électrolyse ou le stockage de la molécule H2.


 
L’Ineris a mis en place une chambre expérimentale sur cette base pour reproduire différentes situations d’explosion de façon réaliste avec des solutions de mitigation (évents, grilles de ventilation, etc.) pour en modérer les effets. Concernant plus particulièrement la mobilité, la sécurité des réservoirs est au cœur des préoccupations de l’équipe de l’Ineris, du fait de l’évolution rapide des technologies et du nombre croissant en service.

Leurs résistances thermiques (réservoir soumis à un feu des pneus du véhicule par exemple) et mécaniques (choc causé par les fourches d’un engin de manutention) doivent être constamment évaluées. Des travaux importants sont encore à mener au titre de la sécurité pour l’hydrogène gazeux. Mais aussi lorsqu’il est conditionné de façon liquide. De premières données relatives aux phénomènes dangereux le concernant pour une exploitation dans le transport et l’industrie sous cette forme sont disponibles mais nécessitent encore des analyses approfondies.


 

Conformité et certification

Comme chargé de mission en nouvelles certifications pour l’Ineris, Bruno Debray appuyait son propos, concernant le cadre réglementaire, sur un rapport produit en collaboration avec France Hydrogène et l’Ademe. Il est disponible en particulier sur le site de l’institut sous le titre « Guide pour l’évaluation de la conformité et de la certification des systèmes à hydrogène ».

Déjà aujourd’hui, une station d’avitaillement hydrogène est soumise à différents textes dont, en particulier, le code de l’environnement qui vise à protéger les riverains et le code du travail pour sécuriser le personnel qui va donc travailler dans des zones Atex. Des normes et règlements vont s’intéresser aussi à tous les éléments du site, jusqu’aux flexibles pour la tuyauterie et l’interfaçage du véhicule, en passant par les structures d’électrolyse (ISO 22734), de compression (NF EN 1012-3), de stockage (NF EN 17533) et de distribution (ISO 19880). Et ce, tout en étant conformes à différentes normes européennes (Equipement sous pression ; Machines ; Compatibilité électromagnétique ; Basse tension).
 
« Un fabricant va devoir concevoir son système en s’appuyant si possible sur un ensemble de normes harmonisées qui vont lui permettre de démontrer que son système a une présomption de conformité aux directives européennes », a souligné Bruno Debray. Ce fabricant pourra en outre faire appel à un organisme notifié pour certifier cette conformité. Ce qui permettra d’apposer le marquage CE sur son système.

De nouvelles applications imposent petit à petit de travailler sur des cadres spécifiques. Concernant la mobilité, sont ainsi en cours d’élaboration, par exemple, ceux s’intéressant aux trains, à la navigation aérienne, au transport maritime, etc. Une certification volontaire facultative peut accentuer la confiance des tiers sur un nouveau produit ou système en rapport avec l’hydrogène. L’Ineris s’est d’ailleurs placé sur ce créneau. L’institut sait développer de nouveaux référentiels à ce sujet, mais aussi des formations, éventuellement en entreprise, et des certifications de compétences spécifiques à la filière hydrogène. A noter la sortie en 2023 d’un module d’e-learning.
 

Sécuriser le déploiement des installations hydrogène

La partie consacrée à la sécurisation du déploiement des installations à hydrogène dans les territoires était développée par Aurore Sarriquet, responsable d’affaires, d’études et de recherche pour l’Ineris. Ici, c’est la réglementation ICPE qui est applicable, relevant du code de l’environnement. Selon le classement de l’installation, 5 seuils d’obligation existent qui déboucheront par exemple sur la délivrance d’un arrêté préfectoral, d’un arrêté d’enregistrement ou d’un récépissé de déclaration en préfecture. Lorsqu’au moins une tonne d’hydrogène est présente sur un site, la déclaration ne suffit pas. Une autorisation, exigée dans la rubrique ICPE 4715, est nécessaire, avec un affichage spécifique dans un rayon de 2 km.

La distance est portée à 3 km dans le cas d’une production d’hydrogène (ICPE 3420) avec un électrolyseur d’une puissance supérieure à 6 MW. Les rubriques ICPE 3140, ICPE 1414 et 1416 s’intéressent respectivement, pour ce produit, à sa liquéfaction, à sa distribution sous cette forme, et en gaz.


 

Analyse des risques

 L’analyse des risques, telle qu’elle est menée en France, cherche à les maîtriser selon 4 axes. Tout d’abord réduire le danger potentiel en diminuant les quantités présentes ou les conditions de fonctionnement (pression, température). Ensuite s’attacher à la probabilité d’occurrence en la contenant avec une maintenance préventive efficace (contrôle de l’absence de fuite, changement préventif au niveau de la tuyauterie flexible, protection diverses, etc.).

Pour restreindre l’intensité et le périmètre des effets d’un phénomène, il est question de prévoir des surfaces soufflables, des orifices pour limiter le débit des fuites, des systèmes de détection et de ventilation, etc. La réduction de la gravité des conséquences s’obtient avec une distance d’isolement.
 
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