Interview : avec TEAL Mobility, TotalEnergies et Air Liquide veulent démocratiser le camion hydrogène

Mis à jour le 09.02.2024 à 17:56
Interview : avec TEAL Mobility, TotalEnergies et Air Liquide veulent démocratiser le camion hydrogène
Au salon Hyvolution, H2-Mobile a pu rencontrer Florentin de Loppinot, CEO de TEAL Mobility. L’occasion de revenir sur la genèse et les objectifs de cette joint-venture qui, détenue à parts égales par TotalEnergies et Air Liquide, vise à amorcer le démarrage de la filière hydrogène dans le secteur du poids lourd.
 
En matière de stations hydrogène, Air Liquide et TotalEnergies s’unissent pour changer d’échelle. Presque un an jour pour jour après la signature d’un premier accord, les deux entreprises ont officialisés le 30 janvier à Hyvolution la création de TEAL Mobility, leur entreprise commune. Regroupant les actifs des deux partenaires, la nouvelle entité vise à déployer 100 stations hydrogène à travers l’Europe. Une démarche que nous explique Florentin de Loppinot, CEO de l’entreprise.
 
H2-Mobile : Il a fallu près d’un an TotalEnergies et Air Liquide pour officialiser la création de TEAL Mobility. Ce fut un long processus ?
 
Florentin de Loppinot : Les premières discussions datent même de 2020. Au début du mois de février 2023, nous avons signé un pré-accord. Depuis, on a préparé le départ de la JV et soumis l'opération aux autorités de la concurrence. On a eu une levée de ce qu'on appelle les conditions suspensives auprès de la Commission européenne en décembre, juste avant Noël. Le processus a été long, car ils ont souhaité comprendre la logique du partenariat. Ils ont aussi voulu comprendre comment les décisions seraient prises entre les actionnaires et s'assurer que les processus d'achat seraient transparents afin que la fourniture d'hydrogène ou d'équipements à la JV se fasse au travers d'appels d'offres concurrentiels.
 
Tout ce processus a aussi pris plusieurs mois aussi parce que la Commission a voulu faire une enquête de marché en contacter les futurs clients, fournisseurs et concurrents de la JV pour savoir si cette alliance entre deux acteurs importants de l'énergie allait permettre à la filière hydrogène de décoller. La conclusion unanime de la Commission a été de dire que c'était une bonne chose.
 
Cette longue gestation nous aura permis de clarifier là où on voulait aller, mais aussi de préparer le démarrage. C'est ce que nous appelons un départ lancé, car on va venir avec toute l'expérience des deux partenaires, mais aussi avec des actifs. Au lancement, on aura seize stations en opération apportées par les deux actionnaires et des projets en construction qui porteront le réseau 20 stations d'ici à la fin de l'année.



Florentin de Loppinot, CEO de TEAL Mobility
 
D’où vient le nom TEAL ? Est-ce l’acronyme de TotalEnergies Air Liquide ?
 
Cela peut être lu comme ça, mais ce n'était pas le premier critère. Nous voulions une identité visuelle assez différente de celle de nos deux partenaires.
 
Le premier objectif, c'était de trouver un nom qui symbolise ce qu'on veut faire. Teal, c'est un oiseau, la sarcelle en français. C'est un membre de notre équipe qui a proposé cela et nous avons tout de suite accroché. La sarcelle est un oiseau migrateur qui symbolise assez bien le transport longue distance. Elle a aussi une collerette bleue et verte que nous avons immédiatement raccroché aux couleurs de l'hydrogène.
 
On a travaillé autour de la symbolique de ce nom-là, au travers des couleurs, au travers de la typographie aussi avec un ambigramme, c'est-à-dire que le logo peut être lu des deux côtés.



 
Le rôle de TEAL Mobility sera d’acquérir le foncier et d’exploiter les stations. Mais ces dernières seront identifiées sous le nom TotalEnergies ? 
 
C’est exactement ça. Le Business Model de TEAL Mobility, c’est de trouver du foncier, en achat ou en location, et d’opérer des stations en visant les grands corridors. Donc, on sécurise le foncier et on vend de l'hydrogène à des clients transporteurs, à commencer par les camions.
 
On fait cela sous l’enseigne TotalEnergies via une licence de marque qui a été négociée. Cela permet en premier lieu de s'insérer très naturellement dans le réseau TotalEnergies qui compte des dizaines de milliers de stations à travers le monde avec un ancrage fort en France et en Europe. TotalEnergies a aussi une filiale AS 24 dédié aux poids lourds et dont les emplacements pourront être mis à disposition de la J.V pour lui permettre d'implanter ses actifs.
 
La logique, c'est de faire tout cela sous la marque TotalEnergies puisqu'il y aura cohabitation entre différentes énergies au sein de ces stations. Cela ne veut pas pour autant dire que nous n’aurons pas de stations purement hydrogène. On a déjà aujourd'hui des projets engagés pour des stations qui vont être uniquement hydrogène.

 
Quand on parle de grands corridors, cela signifie que les aires d’autoroute seront privilégiées ?
 
Ce terme de grands corridors est défini par la directive européenne TEN-T, qui identifie une série d’axes stratégiques qui doivent faire l'objet d'une attention particulière parce qu'ils sont très utilisés pour le transport de marchandises.

Être présents sur ces corridors, ça veut dire être présents dans les zones industrielles, dans les zones portuaires ou encore près des plateformes logistiques. On n'a donc pas besoin d'être directement sur autoroute même s’il faut rester à proximité d’une bretelle d'accès.

Ne pas se concentrer uniquement sur autoroute offre aussi des possibilités foncières plus importantes. Aujourd’hui, les grandes stations de poids lourds sont en général en retrait des grands axes car ce sont des zones où on peut avoir plus de place pour faire des parkings poids lourds et proposer d'autres services.

 
Il y aura-t-il une configuration type pour les stations du réseau TEAL Mobility ?
 
Nos stations respecteront la norme AFIR qui prévoit une capacité minimale d'une tonne par jour. En comptant un plein moyen de 50 kilos, cela permet de servir une vingtaine de camions par jour.
 
On va donc faire des stations orientées poids lourds avec une capacité d’une tonne minimum. On a déjà plusieurs projets de deux tonnes à l’étude et même des stations de trois tonnes capables de servir jusqu'à 60 camions par jour.

 
Certaines de ces stations pourront produire leur hydrogène sur place grâce à des électrolyseurs ?
 
Oui, mais on ne va pas installer des électrolyseurs sur l'ensemble des sites. On cherchera à les déployer là où la réglementation nous l'impose ou nous y encourage forcément. C'est le cas en France avec la politique de l'ADEME. Dans d'autres géographies, s'il y a un point de production hydrogène, et notamment renouvelable, à proximité, nous nous orienterons sur ce type d’approvisionnement. Cela offre plus de souplesse et c'est en général plus économique.

Le réseau TEAL Mobility sera avant tout adressé aux poids lourds ? D’autres véhicules pourront tout de même y accéder ?

Ce n’est pas parce qu'une station a été dimensionnée pour les poids lourds qu'on s'interdit de couvrir d'autres usages. Dans nos stations, aujourd'hui comme demain, on a déjà des bus urbains, des bennes à ordures, mais également des véhicules individuels ou des flottes de taxis. Par exemple, notre station de Berlin reçoit des quantités importantes de taxis et de VTC puisqu'elle est située au niveau de l’aéroport.
 
C’est dans cette optique de desservir tous les usages que l’on opérera à 350 et 700 bars.


L’ hydrogène vert sera-t-il un impératif dans vos stations ?

C'est un objectif très clair à moyen terme. Aujourd'hui, la majorité de l'hydrogène qu’on distribue au travers de notre réseau existant est déjà bas-carbone. On aura néanmoins de l' hydrogène gris sur certaines stations pendant un certain temps. C'est inévitable parce que c'est une partie de l'approvisionnement européen.
 
Notre priorité reste de le décarboner progressivement à 100 %, à mesure que les capacités de production d'hydrogène renouvelable augmenteront.

 
Justement, la molécule hydrogène ne sera pas systématiquement fournie par l’un ou l’autre des partenaires de la joint-venture ?
 
Absolument ! Le processus d'achat et d'approvisionnement en hydrogène sera transparent et reposera sur des appels d'offres qui ont déjà lieu pour les stations qui vont être apportées à la JV.
 
Air Liquide fait partie des fournisseurs, mais on a d'autres fournisseurs sur les différentes géographies au Bénélux, en Allemagne, en France... La JV continuera de lancer ces appels d'offres pour trouver un hydrogène qui correspond à son cahier des charges en toute indépendance vis-à-vis de ses actionnaires.
 
Il en va de même pour les équipements. Air Liquide fait partie des fournisseurs d'équipements pour la construction de stations aujourd'hui. Mais le processus sera transparent et concurrentiel pour permettre à l'ensemble des fournisseurs capables d'apporter leurs solutions de concourir. Cela fait partie des engagements pris auprès de la Commission européenne.


Le premier objectif est de 20 stations d’ici fin 2024 mais avec un premier actif de 16 stations existantes. Quelles sont les prochaines étapes en France ?

En France, les stations Air Liquide de Loges-en-Josas et Fos-sur-Mer seront récupérées au sein de la JV. Il y en a une troisième en construction à Reims. Il s’agira de la première station hydrogène sur autoroute en France. Elle sera ouverte dans le courant du premier trimestre 2024.
 
Toujours en France, nous avons Bordeaux, Orléans et Saran, au nord de Paris. Ces trois stations permettront d'avoir un axe de transport de marchandises entre l'Espagne et le nord de l'Europe. Les travaux doivent commencer cette année. Pour l'une en mars, pour l'autre en juin-juillet et la dernière entre juin et septembre. Je pense qu'il y en aura une qui sera ouverte d'ici à la fin de l'année. Les deux autres verront le jour au premier ou second trimestre 2025.

A Hyvolution, TEAL Mobility offre un aperçu de ses futurs déploiements (points jaune sur la carte)
 
Le projet de TEAL Mobility est ambitieux. Il arrive même très en amont par rapport à l’offre de poids lourds à hydrogène ?

Ce qui est important d'avoir en tête, c'est qu’il y a déjà des véhicules qui circulent, des bus, des bennes à ordures, des véhicules légers et certains camions. Stellantis annonce la mise à disposition de ses fourgons, Iveco lancera son premier poids lourd à l'hydrogène en juin de cette année. D'autres constructeurs comme Daimler, Volvo ou DAF ont aussi leurs programmes.  Les véhicules sont donc en train de sortir. Nous ne sommes pas encore sur des cadences industrielles, mais on va y arriver !
 
Toute la force de TEAL Mobility, c'est de mettre à disposition des infrastructures en avance de phase. On est vraiment dans une logique d'écosystème où on fait une grande partie de l'effort pour permettre au marché de l'hydrogène de se développer.
 
Cette avance de phase nous permet aussi de travailler l'expérience client. On est en train de développer une solution monétique transfrontalière pour permettre aux clients transporteurs d'avoir une même carte avec une facturation centralisée. Grâce à l'expertise d'AS 24, on aura donc une facturation centralisée pour l'ensemble des usages pour une flotte de camions. Ce n'est donc pas du temps perdu.


TEAL Mobility a-t-il aussi pour ambition de proposer des stations à hydrogène liquide ?

Oui, absolument. Nous avons un protocole d'accord avec Daimler pour développer deux stations hydrogène liquide en Allemagne qui sont aujourd'hui à l'étude.
 
Il y a un processus achat qui est en cours pour trouver les bons partenaires et construire ces deux stations à horizon 2025, Il s’agira de stations pilotes qui pourront recevoir de l'hydrogène liquide et le transformer en hydrogène gazeux au niveau de l'appareil distributeur, mais aussi assurer l’avitaillement en hydrogène liquide directement sur les camions, notamment ceux de Daimler.
 
Au-delà de ces deux stations, on voit aussi une fenêtre de développement pour l'hydrogène liquide à plus long terme. Dès lors que la capacité des stations dépassera les trois tonnes par jour, cela devient très intéressant de passer au liquide parce que la chaîne logistique est simplifiée. Maintenant, l'hydrogène liquide pose des sujets en termes de sécurité et d’évaporation qui sont à traiter.
 
Nous ne sommes qu’au début de l’aventure. Mais là encore, avoir ces deux partenaires actionnaires de cette JV est un atout puisque le développement de la filière liquide va pouvoir s'appuyer sur leur expertise croisée. Celle d'Air Liquide qui travaille déjà sur l'hydrogène liquide et celle de TotalEnergies qui est un acteur important du GNL.


Le plein d'hydrogène liquide d'un démonstrateur Daimler
 
A quel horizon TEAL Mobility compte atteindre son objectif de 100 stations ?
 
D'ici dix ans avec plusieurs phases de développement. Sur la première phase, on démarre avec 16 stations. On sera à 20 avant la fin de l'année 2024. On va ensuite lancer une station environ tous les deux mois, soit entre quatre et six par an pendant les cinq premières années. Nous doublerons ensuite la cadence pour créer quasiment une station par mois et atteindre cet objectif de 100 stations dans un périmètre européen.
 
Avec les 16 stations actuelles, TEAL Mobility est déjà présent dans cinq pays européens : Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, France et Allemagne. On va progressivement intensifier ce maillage dans ces pays-là, toujours en suivant les corridors, mais aussi étendre le scope géographique de la JV vers l'Europe de l'Est et l'Europe du Sud à mesure que le contexte s'y prête.
 
Il y a aussi les besoins des clients qu'on essaie de suivre et d'anticiper. Des chargeurs comme des transporteurs qui ont des feuilles de route de décarbonation nous posent régulièrement des questions sur le dimensionnement et l'extension géographique de notre réseau.



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