Autocars à hydrogène : quels enjeux pour développer la filière ?

Autocars à hydrogène : quels enjeux pour développer la filière ?
Dans une étude de 48 pages intitulée « La transition de l’autocar vers des technologies zéro émission : Quels besoins et perspectives en France ? », l’Avere-France et le groupe Mobilité de France Hydrogène expliquent pourquoi les cars électriques à batterie ou à pile hydrogène ne se développent pas dans l’Hexagone. Après avoir rappelé leur importance pour tenir les engagements de décarbonation, les rédacteurs délivrent des préconisations pour améliorer la situation.
 
Selon le service ministériel des données et études statistiques (SDES), il circulait en France au 1er janvier 2022 66 600 autocars, et 27 900 autobus réservés aux transports urbains. Ce sont pourtant ces derniers qui comptaient déjà environ 1 500 unités électriques, dont une bonne vingtaine équipés d’une pile hydrogène. Avec un taux de 98 % pour le diesel et 1,87 % pour le GNV, on dénombrait moins d’une centaine d’autocars à batterie et aucun animé par la molécule H2.
 
Pourquoi une telle différence de traitement ? Pour deux raisons principalement. La première, c’est ce programme qui fixe à 2030 l’obligation d’embarquer dans les autobus neufs une motorisation à zéro émission. S’y ajoute une loi française qui impose aux collectivités de plus de 250 000 habitants d’intégrer des modèles électriques à batterie ou à hydrogène dans le renouvellement des flottes d’autobus. L’actuelle part de 25 % sera relevée à 50 % à partir de 2025. Les autocars échappent à ces contraintes, alors que leur décarbonation est tout autant importante et incontournable.
 

L’existant pour réduire la part du diesel

L’Avere-France et France Hydrogène estiment que le développement des zones à faibles émissions pourrait décider les opérateurs à rendre plus vertueuses leurs flottes d’autocars. Du côté des constructeurs européens qui laissent actuellement le champ libre aux industriels asiatiques, il y a pourtant le règlement (UE) 2019/1242 qui les oblige à réduire les émissions moyennes des nouveaux poids lourds. Par rapport à 2019, une baisse de 15 % est exigée d’ici 2025, puis de 30 % à échéance 2030.
 
En outre le texte prévoit des incitations favorisant les véhicules à zéro émission à l’échappement. Ainsi un système de super-crédits jusqu’en 2024 qui permet de les compter pour deux dans le calcul des émissions moyennes de chacun des constructeurs.
 
A partir de 2025, ceux qui auront atteint un objectif de 2 % de poids lourds à zéro émission dans leurs ventes totales seront récompensés par un ajustement à la baisse de leurs émissions moyennes de CO2 de 1 % pour chaque point de pourcentage supplémentaire. La directive RED II sur les énergies renouvelables, l’Afir qui s’intéresse en particulier au déploiement des infrastructures de ravitaillement en énergie, et les normes Euro vont également contribuer à faire baisser la part du diesel dans les autocars. Tout cela semble aujourd’hui insuffisant.


 

Utilisation des autocars

Les rédacteurs de l’étude classent dans quatre catégories pas toujours très étanches les usages des autocars en France. Avec 33 000 véhicules, la part la plus importante (50 %) revient aux lignes régulières pour le transport interurbain et régional. Environ 250 jours par an, ils avalent entre 150 et 400 km, pour totaliser à l’année entre 30 000 et 80 000 km.
 
Relevant également de l’autorité des régions, le transport scolaire pèse 26 500 autocars (40 %), qui accumulent entre septembre et juin (144 jours par an) de 15 000 à 30 000 km (100 à 200 km par jour).
 
Pouvant rouler quotidiennement entre 100 et 700 km sur environ 210 jours (20 000 à 100 000 km à l’année), les autocars de tourisme sont beaucoup moins nombreux : 6 000, soit une part de 9 %.
 
Il reste les 500 véhicules (1 % du parc) pour les transports librement organisés, principalement aux couleurs de Flixbus et BlaBlaCar Bus. Ces engins sont les plus exploités, 340 jours par an, avec des kilométrages journaliers de 250 à 800 km (entre 80 000 et 250 000 km à l’année).
 
De l’ordre de 5 000 autocars appartiennent à des établissements publics. A comparer aux 27 000 unités que se partagent les filiales des groupes Keolis, Transdev, et RATP Dev. Le plus gros du parc, soit 34 000 véhicules, se répartit entre 3 000 PME.


 

L’offre en autocars

Pour des autonomies maximales comprises entre 200 et 400 km, l’offre en autocars électriques neufs à batteries repose sur 6 modèles : ICe 12 et T12E chez Yutong, MD9 ElectriCity et LD SB E de Temsa, BYD C9 et Iveco Crossway. Ce dernier sert de base à deux spécialistes du rétrofit (Retrofleet et Greenmot), avec un rayon d’action limité à 150 km.
 
« Les premiers autocars électriques à hydrogène devraient être mis en service d’ici la fin de l’année 2023, début de l’année 2024 », rapportent l’Avere-France et France Hydrogène. Les deux associations soulignent que la technologie « démontre déjà sa pertinence au sein du mix énergétique pour le transport de voyageurs » à travers les 50 autobus déjà déployés en France à l’automne 2023, et plus de 700 déploiements annoncés pour les prochaines années. Les constructeurs européens qui s’intéressent au marché sont en particulier Van Hool, Caetano, Solaris, Safra, Wrightbus, Iveco Bus et Daimler. 
 
Les autocars à pile à combustible se développent grâce aux projets HyFleet et CoacHyfied. Devraient être disponibles dès l’année prochaine trois modèles neufs dont les deux premiers offriraient une autonomie jusqu’à 1 000 km : modèle conjoint CaetanoBus et Temsa, Irizar, et Otokar Territo H2 (575 km).
 
Grâce aux régions Normandie, Occitanie, et Auvergne-Rhône-Alpes se constitue une offre en rétrofit, avec trois modèles sur base Iveco Crossway (Nomad Car H2, jusqu’à 450 km d’autonomie ; GCK avec plancher haut, 300 à 500 km ; GCK avec plancher bas, 300 km ; ) ou Mercedes Inturo (Safra).
 

L’hydrogène plus précisément

Six pages de l’étude sont consacrées aux développements en cours des autocars électriques à pile hydrogène. On y apprend en particulier que le modèle mis au point par CaetanoBus et Temsa s’appuie sur le HD12 au catalogue de ce dernier. Produit en série dès 2025, avec à suivre un modèle à trois essieux, il est destiné aux transports à longue distance, y compris entre pays européens.
 
C’est dans le cadre du projet CoacHyfied que le constructeur turc Otokar s’active à produire trois véhicules neufs embarquant une PAC 100 kW et jusqu’à 60 kg d’hydrogène. Déclinés de son modèle Territo, ils seront livrés à une région française pour des liaisons à longue distance sortant du territoire. Parcourant entre 55 000 et 65 000 km par an, ils s’avitailleront dans une station publique qui reçoit déjà des autobus H2. Grâce à une subvention, le prix des versions hydrogène ne sera que 20 % plus élevé que le modèle diesel neuf.
 

Rétrofit : une dynamique engagée

Concernant le rétrofit, la Normandie et Transdev travaillent ensemble au sein du projet collaboratif Nomad Car H2. L’Iveco Crossway s’est imposé car l’opérateur gère pour cette région un parc de 600 autocars diesel de ce modèle. D’où un fort potentiel de conversion ensuite. Six exemplaires rétrofités à l’hydrogène desserviraient la ligne Rouen-Evreux tous les jours de l’année, avec une moyenne de 380 km.
 
Ce sont également des Iveco Crossway que GCK Mobility va transformer pour la région Auvergne-Rhône-Alpes avec prioritairement des équipements produits et fournis par des industriels français. Ainsi Symbio pour la pile à combustible et Forvia concernant les réservoirs. Le choix de l’hydrogène par rapport à l’électrique à batterie s’explique sur ce territoire par des températures très basses l’hiver et d’importants dénivelés.
 
GCK a aussi reçu des commandes qui sortent de ce cadre, notamment de la part de B.E. Green dont le siège est localisé à Buc, dans les Yvelines. Dans le cadre du projet Corridor H2, Safra va assurer pour la région Occitanie le rétrofit de 15 autocars Mercedes Intouro Euro V âgés de 10 ans et affichant moins de 500 000 km au compteur. Le kit de conversion se compose d’un moteur électrique Dana TM4 350 kW, d’un pack lithium Microvast 71 kWh, d’un système de pile à combustible Plastic Omnium de 70 kW, et de 6 réservoirs capables de contenir 35 kg d’hydrogène à 350 bars. Les véhicules convertis seront mis en service sur des lignes existantes avec un kilométrage annuel qui pourra atteindre les 90 000 km.


 

Electrique à batterie ou hydrogène ?

Ce sont principalement les contraintes pour le ravitaillement en énergie et les besoins en autonomie qui vont orienter vers l’électrique à batterie ou à pile hydrogène.
 
La première solution convient ainsi très bien au transport scolaire pour lequel 58 % des autocars parcourent moins de 100 km par jour et 37 % entre 100 et 200 km.
 
En revanche, avec le plus souvent des distances qui dépassent les 300 km à la journée, la solution hydrogène s’impose quasiment pour convertir les flottes d’autocars de tourisme ou les services de type flixbus et BlaBlaCar Bus.
 
Concernant les lignes régulières qui dépendent des régions, il conviendrait de s’interroger au cas par cas, car 15 % des véhicules avalent moins de 100 km par jour, 19 % entre 100 et 200 km, 30 % de 200 à 250 km, et 36 % davantage. Pour ces derniers, l’hydrogène apparaît incontournable. Cette solution est cependant à considérer à égalité avec l’architecture à batterie lorsque le kilométrage journalier maximum est compris entre 200 et 300 km.
 
Les rédacteurs de l’étude ont sorti leurs calculettes : 15 000 autocars actuellement en service en France pourraient être remplacés par des modèles à pile hydrogène, contre 36 000 par des électriques classiques à batteries. Il resterait 15 000 unités pour lesquelles les deux possibilités seraient adaptées, au moins sur le papier.
 

Régions : des positions très hétérogènes 

L’Avere-France et France Hydrogène ont reçu de dix régions leurs avis sur la conversion à l’électrique des flottes d’autocars. Il s’agit d’Auvergne-Rhône-Alpes, Centre-Val de Loire, Guadeloupe, Hauts-de-France, Ile-de-France, Martinique, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Pays de la Loire et Provence-Alpes-Côte d’Azur.
 
Quand certaines ont indiqué ne pas y accorder d’importance ou ne pas se prononcer encore sur le sujet, d’autres considèrent qu’il est très important dans leur territoire. Mais pas à n’importe quel prix.
 
Trois régions pourraient envisager de convertir l’intégralité de leurs flottes d’autocars à l’électrique à batterie ou à pile hydrogène pour un TCO équivalent à celui du diesel. Elles sont encore deux à l’imaginer si le delta entre les deux énergies n’est que de 10 %. S’il atteignait 50 %, la part qui serait convertie s’inscrirait entre 0 et 20 % du parc pour tous les territoires. Deux pourraient pousser jusque 60 % avec un TCO plus élevé de 25 %. C’est plus tiède encore au niveau des échéances. Au mieux, en 2025, une seule région envisagerait de convertir un minimum de 40 % de sa flotte avec des autocars à zéro émission. Une autre a indiqué pour 2030 un objectif d’au moins 60 %.
 

Quels freins à l’adoption ?

Que ce soit pour les autocars électriques à batterie ou leur déclinaison à pile hydrogène, le frein le plus important est le surcoût à l’achat (mis en avant par les 10 régions), suivi d’une offre limitée de la part des constructeurs (2e position pour les BEV et 3e pour les modèles H2, respectivement pour 7 et 8 régions).
 
Plusieurs freins indiqués pour les électriques à batteries peuvent amener à préférer l’hydrogène : autonomie limitée (3e place, signalé par 6 régions), durée de vie de la batterie (4e, 5 régions), perte de capacité des voyageurs ou de stockage (5e, 4 régions), durée de recharge trop importante (7e, 3 régions), performances des véhicules réduites dans les conditions météorologiques extrêmes (12e, 2 régions).
 
Concernant les autocars H2, des craintes peuvent apparaître plus ou moins légitimes sauf à vouloir dynamiser la filière et/ou s’inscrire en pionnier : maturité technologique incertaine (2e place, signalé par 9 régions), surcoût de l’hydrogène (4e, 8 régions), manque d’infrastructures d’avitaillement sur les trajets (5e, 8 régions), pas suffisamment d’espace disponible au dépôt pour une station privative (9e, 4 régions).
 
D’autres sont en revanche curieuses et semblent provenir d’un manque d’information : perte de capacité des voyageurs ou de stockage (10e, 4 régions), durée d’avitaillement trop longue (11e, 3 régions), autonomie limitée (12e, 2 régions).


 

Des leviers à activer

Les rédacteurs de l’étude préviennent : « En l’absence d’incitations ou d’objectifs contraignants, ainsi que de supports financiers suffisants, les régions, autorités organisatrices pour la majeure partie des autocars, envisagent encore peu le zéro émission sur le court à moyen terme – alors même que les enjeux de décarbonation sont au cœur de leurs priorités ».
 
Les deux associations proposent de jouer sur six leviers pour améliorer la situation : le jeu de règlementations ambitieuses et concordantes pour inciter au déploiement des autocars à batterie ou pile hydrogène ; la publication d’une feuille de route nationale contribuant à offrir une perspective claire du développement du marché aux constructeurs, opérateurs et donneurs d’ordres ;  la mise en place de mécanismes de soutien à l’investissement nécessaires dans la phase d’amorçage pour les deux technologies.
 
Le quatrième levier porte sur le prix des deux énergies alternatives, en actionnant, par exemple, la taxe incitative relative à l’utilisation d’énergie renouvelable dans le transport (Tiruert). L’Avere-France et France Hydrogène espèrent aussi des conditions de marchés favorisant la transition des opérateurs, en particulier par l’allongement des durées de contrats et la mise en place de critères de sélection adaptés.
 
Le dernier levier à activer concerne l’accélération du déploiement des infrastructures publiques de recharge électrique et d’avitaillement en hydrogène, en ligne avec les prescriptions de l’Afir.
 

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