Ferroviaire : comment Alstom prépare la révolution hydrogène

Ferroviaire : comment Alstom prépare la révolution hydrogène
Dans le cadre de son cycle de conférences consacré à la filière hydrogène, la Société d’encouragement pour l’industrie nationale accueillait Stéphane Kaba, directeur Smart & Green Mobility chez Alstom. Son intervention visait à présenter la démarche engagée par son entreprise pour la mobilité hydrogène sur le rail.
 

Alstom s’engage pour un rail vert

Avec le rachat de son concurrent Bombardier en février dernier, Alstom dispose d’un effectif réunissant 75 000 collaborateurs. Spécialisé dans le rail depuis les tramways jusqu’aux trains à grande vitesse, l’entreprise fait désormais de la mobilité verte sa priorité. Elle multiplie actuellement les projets qui exploitent l’hydrogène pour faire disparaître la propulsion diesel.
 
Trois défis sont aujourd’hui à relever pour le rail, plus particulièrement en France. Tout d’abord revenir à une part acceptable de fret ferroviaire. Elle ne représente plus que 9 % aujourd’hui, contre 20 % il y a 10-15 ans. Ensuite, parvenir à électrifier les lignes et bouts de lignes qui ne le sont pas. Et enfin, réussir à prendre en charge le report modal d’un nombre de déplacements élevé de personnes, actuellement réalisés en avion ou en voiture individuelle. Le transfert du fret et des passagers aidera à verdir le rail dans le cadre de la neutralité carbone programmée en France pour 2050. Alstom tient à intégrer ce mouvement dans un contexte d’urgence écologique et environnementale.
 

Aberration écologique

« A l’échelle européenne, on a environ grosso modo 50 % du réseau ferré qui n’est pas électrifié. Celui de la France compte 33 000 kilomètres, dont 40 % n’est pas électrifié », a chiffré Stéphane Kaba. Dans les parcours effectués avec des engins diesel, il y a de petites lignes régionales pour le transport des personnes. Mais il y a aussi et surtout le fret. « Des locomotives diesel traversent la France parce qu’il y a quelques sections qui ne sont pas électrifiées. Pour desservir un port, des bouts de lignes de 30-50 km ne sont pas électrifiés. Ainsi, pour réaliser 800 km, dont 700 sous caténaires, les chargeurs, pour des raisons de praticité, utilisent des locomotives diesel. C’est une aberration écologique », a déploré le conférencier.
 
Electrifier les lignes présente un coût dissuasif pour des dessertes secondaires, de l’ordre de 2-3 millions d’euros du kilomètre. « Nous réfléchissons, chez Alstom, à une solution qui permette à une locomotive électrique, de pouvoir rentrer dans une partie de réseau qui n’est pas électrifiée, avec une architecture hydrogène qui pourra lui apporter l’énergie, la puissance et le courant nécessaires », a-t-il indiqué.
 

Résoudre les problèmes écologiques, économiques et sonores

« Le diesel connaît aujourd’hui une fluctuation à la hausse pour des raisons fiscales. Dans les politiques nationales et européennes de verdissement de l’économie, il est clair que la taxation du diesel est un élément important », a rappelé Stéphane Kaba.
 
Les trains diesel émettent beaucoup de CO2, dans un contexte où les politiques en France veulent exclure ce carburant à horizon 2035. « Ces coûts induits par un diesel qui va augmenter et les taxes CO2 vont remettre en question la pérennité économique des solutions qui sont aujourd’hui propulsées par le diesel. [En outre] les trains diesel font plus de bruit que les trains électriques », a aligné le directeur chez Alstom. « Le passage à une solution hydrogène permettra d’améliorer grandement tous ces paramètres », a-t-il évalué, en soulignant un dernier point : le développement des zones à faibles émissions (ZFE) dans les grandes villes.


 

Architecture

« Nous avons commencé à réfléchir à l’application de l’hydrogène dans le ferroviaire à partir de 2014. Et ce, en raison d’une volonté très forte des Länder en Allemagne d’accélérer le déploiement de solutions vertes », a mis en avant Stéphane Kaba. Outre-Rhin, les parties écologistes pèsent de façon importante sur les décisions politiques. Des fonds ont ainsi été débloqués par les Etats fédérés au bénéfice d’Alstom pour aider au lancement des développements dans le domaine ferroviaire.
 
L’entreprise a travaillé sur le modèle de train Lint très répandu en Allemagne. Les équipements réservés à la propulsion diesel ont été remplacés par 3 éléments : une pile à combustible, les réservoirs de stockage de l’hydrogène à 350 bars, et une batterie lithium-ion.


 

Des performances conservées

« Un train est contraint en termes de masse et de volume. Il est fait avant tout pour transporter des passagers. On ne peut donc pas utiliser la moitié du train pour stocker des piles à combustible, des réservoirs à hydrogène ou des batteries », a expliqué le conférencier. C’est pourquoi Alstom a exploité pour ses rames à hydrogène des espaces en toiture et sous-châssis, « sans réduire la capacité du train ».
 
Une fois transformées, elles peuvent toujours transporter 150 passagers sur 1 000 km avec une vitesse de pointe de 140 km/h. L’adoption de l’hydrogène impliquait de pouvoir a minima conserver les performances techniques des trains diesel. « On n’a plus de CO2, on n’a pas de NOx, et on n’a pas de particules fines », a listé en avantages le conférencier. Développée pour l’Allemagne, cette solution s’exporte aujourd’hui en différents coins du monde.


 

La place de la batterie

Avec des trajets inférieurs à 80 km, l’usage d’une batterie de traction seule peut être privilégiée. Au-dessus, la solution avec une PAC H2 est davantage pertinente.
 
Pourquoi faut-il une batterie dans un train électrique alimenté par de l’hydrogène ? « Sur un train, une pile à combustible produit en permanence la même puissance. On ne cycle pas la pile à combustible pour des raisons de durée de vie », a répondu Stéphane Kaba. La batterie a donc « un rôle de stockeur pour pouvoir apporter un surplus d’énergie lorsqu’il y a une accélération du train et que la pile à combustible ne fournit pas suffisamment de puissance ». Le pack lithium-ion se régénère lorsque la PAC produit plus d’énergie que nécessaire pour faire avancer la rame, et/ou lors des phases de freinage.
 

Bénéfice environnemental

Une rame Lint convertie à l’hydrogène permet d’éviter le relâchement à l’année de 700 tonnes de CO2. Ce qui correspondant aux émissions de 400 voitures sur la même période.

« Aujourd’hui, si on équipait l’ensemble du parc européen accessible de trains régionaux et des locomotives qui sont propulsés au diesel, on pourrait réduire de 7 millions de tonnes les émissions de CO2 », a chiffré le directeur chez Alstom. Sans compter les polluants, dont les particules fines, qui seraient la cause de 100 000 décès (17 %) en France par an.


 

Premières livraisons en 2018

Les premiers trains d’Alstom fonctionnant à l’hydrogène ont été mis en service en 2018. Effectuant 1 000 km par jour en Allemagne, ils totalisent désormais plus de 100 000 km chacun. Des expérimentations ont également été effectuées aux Pays-Bas et en Autriche en 2020, puis en Pologne en avril de cette année, afin de prouver que ces rames sont exploitables également ailleurs qu’en Allemagne. Dans le cadre du projet FNM qui s’intègre dans les programmes d’Hydrogen Valleys, l’Italie a commandé 14 exemplaires de trains hydrogène qui circuleront au nord de Milan.
 
« Nous espérons, très rapidement, venir en France avec une vitrine qu’on pourra montrer sur les réseaux français », a annoncé Stéphane Kaba. « Il reste des marges de progressions sur le plan technique et aussi au niveau des coûts », a-t-il confié.

4 régions françaises vont s’équiper de trains H2 Alstom

Pour la France, l’architecture des trains hydrogène régionaux sera différente, avec un fonctionnement bimode. Ce sont « des trains qui sont équipés d’un pantographe. Ils peuvent donc utiliser l’énergie de la caténaire pour circuler. En même temps, ils embarquent une solution hydrogène pour qu’ils puissent toujours se mouvoir, lorsqu’ils sortent du réseau électrique, grâce à la pile à combustible », a schématisé le conférencier.
 
Quatre régions françaises (Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie et Grand Est) ont confirmé début 21 une commande de 14 rames Regiolis H2 de ce type.
 

La conversion de trains existants

Le Royaume-Uni est également un cas à part. Il s’agit outre-Manche de convertir 321 trains diesel existants. « La grande différence que l’on a entre les trains et les voitures, c’est la durée de vie. Un train, ça dure 40 ans », a justifié Stéphane Kaba.
 
Alstom est à même de proposer des solutions de rétrofit et de rénovation qui font sens sur des rames qui ont 15 ou 20 ans. « On profite de l’opération de mi-vie pour réinjecter une nouvelle traction, sans tout démonter, sans tout refaire, dans ces trains qui étaient auparavant propulsés par du diesel », résume l’intervenant.
 

Le fret

« Le fret diesel, c’est une pollution épouvantable. Ce sont par exemple des trains qui traversent l’intégralité des territoires américains avec des machines qui polluent affreusement et pour lesquelles il faut que l’on trouve collectivement des solutions », a plaidé Stéphane Kaba.
 
Les ingénieurs d’Alstom travaillent déjà sur ce sujet, après avoir identifié 2 cas de figure. Tout d’abord le Heavy Freight avec des trains en France qui pèsent 2 000 tonnes, contre 150 tonnes pour une rame régionale de voyageurs. Avec ce fret lourd, la solution passe par « des piles à combustible de très grande puissance ».
 
Enfin, le Shunting, où des locomotives de manœuvre, sans effectuer de grandes distances, « interviennent dans des zones urbaines ou périurbaines pour tout ce qui est travaux ou constituer des trains de fret ». Le directeur chez Alstom conclut : « Ces locomotives sont extrêmement dommageables, extrêmement polluantes, et très dérangeantes dans un environnement urbain habité ».
 

Cycle gratuit de conférences

Soutenu par la plateforme Leonard de prospective et d’innovation du groupe Vinci engagée dans les secteurs des énergies et de la mobilité, et la Fondation Energy Observer, le cycle de conférences prend la forme de webinaires auxquels il est possible d’assister gratuitement. 
 
Les 2 prochaines conférences seront consacrées à la mobilité aérienne et maritime (8 septembre 2021) et aux usages industriels de l’hydrogène (6 octobre 2021).

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