Interview : quels défis pour développer le camion à hydrogène ?

Interview : quels défis pour développer le camion à hydrogène ?
En 2021, le think-tank Equilibre des énergies (EdEn) a publié une étude concernant l’exploitation de l’hydrogène dans le secteur du transport routier de marchandises. Plus de deux ans après, comment la situation a-t-elle évolué ? Jean-Pierre Hauet répond à cette question pour les lecteurs de H2 Mobile.
 
« Equilibre des énergies est un groupe de réflexion créé il y a une dizaine d’années. Il réunit des entreprises des secteurs de la construction, de l’industrie, de l’énergie, des transports [NDLR : Terrestres, maritimes et aériens], etc. A travers des études qu’il réalise, il émet des propositions pour accélérer la transition énergétique. Pas avec l’idée d’une décroissance, mais dans un esprit constructif qui préserve le bien-être des citoyens », lance Jean-Pierre Hauet, président du Comité scientifique, économique, environnemental et sociétal pour l’organisme.
 
A la tête d’Equilibre des énergies, l’ancien ministre de l’Environnement Brice Lalonde, qui a aussi endossé le rôle d’ambassadeur chargé des négociations internationales sur le climat.
 
Quatre recommandations principales ont été formulées il y a un peu plus de deux ans en conclusion de l’étude intitulée « Le marché de l’hydrogène dans le secteur du transport routier de marchandises et ses conditions de développement ». Les deux premières concernent directement le coût : absence de nouvelles taxes aussi bien sur l’hydrogène décarboné que concernant l’électricité employée pour la production par électrolyse ; soutien de l’ordre du milliard d’euros sur douze ans pour doper l’investissement dans les infrastructures H2 dédiées aux poids lourds.
 
EdEn a ensuite plaidé pour la création d’un schéma directeur afin de concevoir un écosystème de production et de distribution rationnel. En dernière recommandation principale : Ne pas se disperser et faire émerger au niveau européen des corridors le long des axes du réseau RTE-T central.

Jean-Pierre Hauet, Président du Comité scientifique, économique, environnemental et sociétal d'Equilibre des Energies.
 

Pas d’électrique à batterie pour les poids lourds

Comme son nom l’indique, le groupe de réflexion n’est pas centré sur l’hydrogène en général ni concernant la mobilité en particulier.
 
« Pour les véhicules légers comme les voitures particulières et les utilitaires, la solution électrique à batterie convient très bien. Moins aux poids lourds qui parcourent de longues distances. Et pour plusieurs raisons : le poids des batteries qui seraient nécessaires, la disponibilité des matériaux pour en équiper tous les véhicules, et des besoins relativement fréquents pour la recharge » juge Jean-Pierre Hauet. Ce dernier point soulève un autre problème : « C’est le risque de saturation dans les stations de recharge. Vinci l’a mis en évidence, en soulignant le problème du foncier pour construire les sites. Il faudrait des stations pour les voitures et d’autres pour les poids lourds. Regardez déjà comment les aires de parking des camions sont saturées à certains moments sur les autoroutes. Et pas question d’installer une borne à chaque emplacement ».
 
De quoi encourager le développement de l’hydrogène pour les poids lourds ? « Cette solution résoudrait la question de l’autonomie. Elle n’est pas la seule. La route électrique pourrait y répondre à moyen terme. Nous venons de réaliser une nouvelle étude à ce sujet. Il existe trois architectures principales : par caténaire avec deux pantographes sur les véhicules ; au moyen d’un rail central comme avec le tramway de Bordeaux pour tirer l’électricité grâce à des patins ; et par induction avec des bobines de 80 à 100 cm de diamètre qui se succèderaient de façon invisible dans la chaussée ».
 

BioGNV et routes électriques

Publiée en fin d’année dernière, la nouvelle étude « La route électrique, il faut s’y préparer » semble effacer la solution hydrogène : « La route électrique est effectivement une tendance que nous observons pour le moyen terme. Il y a eu un emballement assez fort à un moment concernant l’hydrogène. La réalité aujourd’hui est plus nuancée. Le développement de la mobilité hydrogène des poids lourds semble s’étaler dans le temps ».
 
L’étude de 2021 cite aussi le bioGNV comme une piste pour décarboner le transport de marchandises : « Nous ne le considérons cependant pas comme une solution à long terme. Si l’on veut préserver l’environnement et la biodiversité, mais aussi ne pas détruire les sols, les ressources en biomasse seront forcément limitées. Il y a en outre d’autres utilisations potentielles la concernant. Par exemple pour obtenir des carburants de substitution pour l’aviation où l’on ne sait pas encore si l’on pourra exploiter l’hydrogène. En revanche, pour le transport routier de marchandises, l’hydrogène apparaît comme une bonne façon de contourner les limites de la biomasse ».
 

La délicate question des stations…

Pour avitailler les camions, il y a deux possibilités. On pense immédiatement au plein des réservoirs qui peut être effectué en cours de route : « Le règlement Afir qui vient d’être publié prévoit une station tous les 200 km le long des principaux axes du réseau RTE-T. Autre élément important : on voit apparaître des offres pour des poids lourds avec des autonomies de l’ordre de 800 km en embarquant 70 à 75 kg d’hydrogène ».
 
Avant de partir, l’avitaillement peut aussi être réalisé au dépôt : « Il est apparu au cours de nos enquêtes que les transporteurs tiennent à conserver, comme ils le font aujourd’hui avec le gazole, la possibilité de disposer de leur propre station. Ce qui leur permet de continuer leur activité même en cas de grève empêchant l’accès aux pompes en cours de route. Ils sont nombreux à avoir des capacités de stockage en gazole dans les dépôts ».
 
La molécule H2 offrirait même un plus : « Ces transporteurs pourraient être intéressés par l’hydrogène qui leur apporterait, en plus d’une capacité de stockage, la possibilité de produire leur carburant par eux-mêmes et sur place. Il leur reviendrait moins cher que de faire le plein dans une station d’autoroute ».


 

… et du TCO !

« Avec l’hydrogène, l’équation économique est difficile à boucler. La situation ne s’est pas améliorée depuis l’étude de 2021. Le prix du kilo d’hydrogène décarboné est toujours très élevé. Tant qu’il n’y aura pas une pression règlementaire suffisante, la concurrence avec le gazole va rester très forte. Cette pression commence à prendre forme pour 2040 », estime Jean-Pierre Hauet.
 
Une raison majeure explique ce tableau : « Il y a beaucoup de petites entreprises pour le transport routier de marchandises, avec des marges très limitées. Elles vivent au jour le jour : on ne peut pas leur demander d’anticiper. Les conditions ne sont pas réunies aujourd’hui pour une bascule massive vers l’hydrogène. Au point de se poser cette question : ‘Y aura-t-il vraiment un marché au-delà des opérations pilotes ?’ ».
 

Des améliorations à espérer ?

Les détracteurs de l’hydrogène pour la mobilité s’appuient souvent sur le rendement relativement peu élevé des piles à combustible et des électrolyseurs par rapport à l’électrique à batterie : « On espère qu’il y aura des améliorations au niveau des électrolyseurs. En particulier en exploitant la filière à haute température, le rendement pourrait passer de 55 à 65-70 %. Ce n’est cependant pas pour tout de suite. Aujourd’hui, en France, on a l’impression que la filière des électrolyseurs patine un petit peu. Des projets sont retardés, car elle n’arrive pas à tenir les délais » juge notre interviewé.
 
Et pour les PAC ? « C’est un des gros problèmes de l’hydrogène. Les fabricants de piles à combustible travaillent depuis des années pour obtenir de meilleurs rendements. En 2021, nous n’avions pas envisagé l’hydrogène dans des moteurs thermiques. Cette solution éviterait de passer par une pile ». Il y a deux ans, le cas de l’ hydrogène naturel n’était pas non plus au centre des discussions pour la décarbonation : « C’est une voie très intéressante qui mérite d’être investiguée. En France, un premier permis de recherche a été délivré pour une zone dans les Pyrénées. Plusieurs choses sont à vérifier : l’existence du gisement, le renouvellement du gaz pour ne pas en arriver trop rapidement au bout, et comment il se présente. C’est souvent du gaz de houille avec un mélange ».
 
Jean-Pierre Hauet s’interroge : « Peut-être qu’on va aboutir à des quantités exploitables avec l’hydrogène naturel. Peut-être que cette solution sera compétitive. Je suis très heureux que les pouvoirs publics accordent une attention à cette piste ».
 
H2 Mobile et moi-même remercions beaucoup pour sa disponibilité et ses éclairages au sujet de l’exploitation de l’hydrogène dans le transport routier de marchandises.
 
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