Interview
Pierre Fillon (ACO) : « L'hydrogène pour Monsieur Tout-le-monde, j'y crois ! »

Pierre Fillon, Président de l'ACO, lors de son intervention à l'EcoGreen Energy 2025 - Photo : P. Schwoerer
On le sait déjà, la célèbre course des 24 Heures du Mans s’est ouverte à l’hydrogène. A l’édition 2025 de l’EcoGreen Energy, Pierre Fillon, président de l’ACO, a rappelé le contexte dans lequel la compétition évolue sur cette piste énergétique.Fer de lance du programme Mission H24, il défend une approche fondée sur le mix énergétique et croit fermement au potentiel de l’hydrogène, y compris pour les usages du quotidien.
L’EcoGreen, ce n’est pas seulement un challenge où des collégiens, lycéens et élèves ingénieurs cherchent chaque année au mois de mai à établir des records de basse consommation au bioGNV, à l’électricité ou à l’hydrogène. C’est aussi un espace de réflexion. En 2025, le Forum a cédé la place au Club. Une nouvelle formule que Patrice Mehrand, à la tête de l’organisation, a ainsi expliqué : « Nous avions fait le tour des thèmes concernant la décarbonation des transports lourds ».
Désormais, les intervenants se succèdent le temps d’un déjeuner. Et tout à proximité des stands où les équipes apportaient les derniers réglages aux vingt-cinq Protos et Urban Concepts engagés dans le challenge. Premier des trois invités à s’exprimer, le climatologue François Gemenne a défendu l’idée d’un mix d’énergie pour décarboner la mobilité, très en phase avec les véhicules électriques à batterie ou à PAC H2, et les thermiques au bioGNV ou hydrogène que de jeunes pilotes s’apprêtaient déjà à conduire sur le circuit de Fay-de-Bretagne (44).
Concernant la désinformation que font circuler nombre de climato-sceptiques au sujet de la mobilité durable, le co-auteur du 6e rapport du Giec a ainsi préparé la voie à Pierre Fillon : « On nous dit que ce serait aller vers moins de confort, moins de performances… alors que c’est tout le contraire. Et ça, par exemple, il faut le montrer par le sport automobile »
L’épreuve des 24 Heures du Mans est un peu plus que centenaire : « C’est en 1923 qu’a été concrétisée cette idée folle d’une course se déroulant sur voies ouvertes pendant 24 heures, donc de jour comme de nuit, et par tous les temps. En plus des circuits Bugatti et de Maison-Blanche, trois autres sont dédiés au karting ». En comptant aussi les courses de motos ou de camions, « nous accueillons chaque année environ un million de visiteurs, dont 350 000 rien que pour les 24 Heures ».
Du 3 ou 5 octobre prochains, le site recevra la troisième édition du GP Explorer lancé à l’origine par le Youtubeur Squeezie : « C’est une course où s’affrontent des influenceurs. Il ne faut que quelques minutes pour que soient vendus les 70 000 billets, avec derrière une liste d’attente de 250 000 personnes ». L’ACO gère encore bien d’autres activités : « Nous organisons des séminaires, des stages d’éco-conduite, et nous nous occupons de sécurité routière en allant dans les écoles. Nous avons aussi sur place un musée, actuellement en travaux, qui rouvrira ses portes en 2026 ».
Envisagé dès 2007 et introduit en 2012 au Mans, « l’hybride a permis d’économiser 50 % d’essence. Avant, les réservoirs des voitures de course avaient une contenance de 100 à 120 litres. Maintenant certains ne font plus de 42 litres ». Le président de l’ACO a constaté « après la Covid, un renouveau pour le sport automobile ». Il s’est accompagné d’un véritable effort pour que l’énergie employée soit plus vertueuse : « sur nos circuits, les voitures roulent déjà avec un carburant durable obtenu de résidus vinicoles et grâce auquel les émissions de CO2 ont encore été réduites de 65 % ».
L’intérêt pour l’hydrogène est une suite logique dans la volonté de « décarboner complètement les 24 Heures du Mans. Nous avions aussi pensé en 2017 à l’électrique à batterie, mais le temps alors nécessaire de 20-30 minutes pour les recharges n’était pas adapté aux courses d’endurance ». C’est dans ce contexte qu’a « été développée avec l’entreprise suisse Green GT notre voiture porte-drapeau de l’hydrogène, Mission H24. Il s’agit d’un démonstrateur de type LMP3 qui fonctionne avec une pile hydrogène, une énergie qui peut être maîtrisée ».
Ce n’est pas tout, puisque « depuis est arrivée l’idée d’exploiter l’hydrogène sous forme liquide, pour des questions de quantité d’énergie. Avec du gaz, il aurait fallu rallonger de deux mètres les voitures. Avec l’hydrogène liquide, on gagne environ 40 % de volume ». Le bolide Mission H24 « en est à sa troisième évolution, toujours avec une PAC H2. On veut atteindre les performances des GT3, c’est-à-dire pouvoir réaliser dans les quatre minutes le tour du circuit ».
Débordant carrément du cadre de la compétition, cette ambition se subdivise en trois volets : « Nous voulons déjà nous servir de ce laboratoire pour créer le règlement spécifique à la compétition hydrogène. Il s’agit ensuite de promouvoir un écosystème local. Au Mans, nous avons investi dans une station qui est située à proximité de l’aéroport. Elle alimente déjà un autobus. Ils seront bientôt dix, en plus de bennes à ordures ménagères ». Et le troisième volet ? « Nous voulons pousser la Commission européenne à ne pas investir uniquement dans l’électrique à batteries ».
« Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ». Au cours de son intervention, Pierre Fillon a rebondi sur cette formule bien connue et employée un peu plus tôt par François Gemenne pour justifier la vision d’un mix d’énergies vertueuses, pas seulement pour la mobilité de demain, mais avec une large place pour l’hydrogène. Le climatologue espère lui aussi des avancées au niveau européen, notamment pour « une stratégie européenne, et non 27 stratégies nationales toutes différentes et mal connectées ». C’est selon lui une condition pour bénéficier d’une énergie suffisamment abondante afin de répondre aux « besoins qui ne feront qu’augmenter au fil du temps ».
Autre point commun dans le discours des deux intervenants, le poids des climato-sceptiques qui freinent la transition énergétique. Ils seraient « entre 30 et 40 %, à différents niveaux ». Le président de l’ACO a, lui, un angle différent pour regarder vers demain, confirmé par les 300 élèves et étudiants embarqués en 2025 dans le challenge EcoGreen : « Les jeunes sont sensibles à la décarbonation de la mobilité et veulent préparer le futur. On n’a de toute façon pas le choix ».
Le programme Mission H24 vise aussi à préparer pour tous la mobilité de demain : « L’hydrogène pour Monsieur Tout-le-monde, oui, j’y crois. Je pense que ça commencera par le transport lourd. Les Chinois préparent déjà des autoroutes à hydrogène pour que les camions puissent traverser le pays d’est en ouest et du nord au sud ». Ce qui pourrait aussi profiter aux véhicules légers : « Pour la ville, l’électrique à batterie, ça marche déjà bien. L’hydrogène, c’est pas mal aussi pour les longs déplacements. Il est aussi possible de décarboner les trains avec, et peut-être les avions plus tard ».
Booster la mobilité avec la molécule hydrogène suppose encore aujourd’hui des aides pour bien lancer la machine. Est-ce possible avec l’actuelle situation financière de la France ? « Arrêtons de nous imaginer plus pauvres que nous ne le sommes. En France, il y a entre 6 000 et 8 000 milliards d’euros d’épargne », a mis en avant un peu plus tôt François Gemenne : « Il faut permettre aux Français d’investir dans les énergies renouvelables. Ils seraient contents de savoir que leur épargne leur rapporte et sert les entreprises du pays ».
Pour le climatologue, les vrais freins inquiétants actuellement, ce sont les déclarations de Donald Trump sur la scène internationale et la valse-hésitation de l’Europe et des Etats membres : « Deux pas en avant et trois pas en arrière, c’est un message d’incertitude et d’instabilité qui est envoyé aux investisseurs. Comme ArcelorMittal en ce moment, ils ont besoin d’une vision stable sur 15-20 ans de la législation et du prix des énergies ».
L’EcoGreen, ce n’est pas seulement un challenge où des collégiens, lycéens et élèves ingénieurs cherchent chaque année au mois de mai à établir des records de basse consommation au bioGNV, à l’électricité ou à l’hydrogène. C’est aussi un espace de réflexion. En 2025, le Forum a cédé la place au Club. Une nouvelle formule que Patrice Mehrand, à la tête de l’organisation, a ainsi expliqué : « Nous avions fait le tour des thèmes concernant la décarbonation des transports lourds ».
Désormais, les intervenants se succèdent le temps d’un déjeuner. Et tout à proximité des stands où les équipes apportaient les derniers réglages aux vingt-cinq Protos et Urban Concepts engagés dans le challenge. Premier des trois invités à s’exprimer, le climatologue François Gemenne a défendu l’idée d’un mix d’énergie pour décarboner la mobilité, très en phase avec les véhicules électriques à batterie ou à PAC H2, et les thermiques au bioGNV ou hydrogène que de jeunes pilotes s’apprêtaient déjà à conduire sur le circuit de Fay-de-Bretagne (44).
Concernant la désinformation que font circuler nombre de climato-sceptiques au sujet de la mobilité durable, le co-auteur du 6e rapport du Giec a ainsi préparé la voie à Pierre Fillon : « On nous dit que ce serait aller vers moins de confort, moins de performances… alors que c’est tout le contraire. Et ça, par exemple, il faut le montrer par le sport automobile »
Automobile Club de l’Ouest
Ophtalmologue au Mans (72), Pierre Fillon est le président de l’Automobile Club de l’Ouest depuis 2012 : « Cette association loi 1901 créée en 1906 a organisé le premier grand prix de l’histoire automobile. Alors connue sous la dénomination ‘Automobile Club de la Sarthe’, elle avait pour cela été retenue à la suite d’un appel d’offres. Aujourd’hui l’ACO compte 40 000 membres ».L’épreuve des 24 Heures du Mans est un peu plus que centenaire : « C’est en 1923 qu’a été concrétisée cette idée folle d’une course se déroulant sur voies ouvertes pendant 24 heures, donc de jour comme de nuit, et par tous les temps. En plus des circuits Bugatti et de Maison-Blanche, trois autres sont dédiés au karting ». En comptant aussi les courses de motos ou de camions, « nous accueillons chaque année environ un million de visiteurs, dont 350 000 rien que pour les 24 Heures ».
Du 3 ou 5 octobre prochains, le site recevra la troisième édition du GP Explorer lancé à l’origine par le Youtubeur Squeezie : « C’est une course où s’affrontent des influenceurs. Il ne faut que quelques minutes pour que soient vendus les 70 000 billets, avec derrière une liste d’attente de 250 000 personnes ». L’ACO gère encore bien d’autres activités : « Nous organisons des séminaires, des stages d’éco-conduite, et nous nous occupons de sécurité routière en allant dans les écoles. Nous avons aussi sur place un musée, actuellement en travaux, qui rouvrira ses portes en 2026 ».
La compétition pour faire progresser la mobilité
Pierre Fillon a rappelé que la course des 24 Heures a largement « fait progresser la mobilité » par l’invention et l’expérimentation d’un grand nombre d’équipements et systèmes, parmi lesquels « les feux antibrouillards, les phares à iode, les freins à disque, l’injection directe, le turbo, les pneus à carcasse radiale, etc. ».Envisagé dès 2007 et introduit en 2012 au Mans, « l’hybride a permis d’économiser 50 % d’essence. Avant, les réservoirs des voitures de course avaient une contenance de 100 à 120 litres. Maintenant certains ne font plus de 42 litres ». Le président de l’ACO a constaté « après la Covid, un renouveau pour le sport automobile ». Il s’est accompagné d’un véritable effort pour que l’énergie employée soit plus vertueuse : « sur nos circuits, les voitures roulent déjà avec un carburant durable obtenu de résidus vinicoles et grâce auquel les émissions de CO2 ont encore été réduites de 65 % ».
L’intérêt pour l’hydrogène est une suite logique dans la volonté de « décarboner complètement les 24 Heures du Mans. Nous avions aussi pensé en 2017 à l’électrique à batterie, mais le temps alors nécessaire de 20-30 minutes pour les recharges n’était pas adapté aux courses d’endurance ». C’est dans ce contexte qu’a « été développée avec l’entreprise suisse Green GT notre voiture porte-drapeau de l’hydrogène, Mission H24. Il s’agit d’un démonstrateur de type LMP3 qui fonctionne avec une pile hydrogène, une énergie qui peut être maîtrisée ».

« Nous voulons pousser la Commission européenne à ne pas investir uniquement dans l’électrique à batteries »Le Covid a quelque peu retardé le programme Mission H24 : « Nous avions au départ prévu pour 2024 d’avoir une voiture de circuit roulant à l’hydrogène. Nous étions partis sur de l’hydrogène gazeux en alimentation d’une pile à combustible. Mais depuis 2022-2023, des constructeurs travaillent sur une solution s’appuyant sur des moteurs thermiques ».
Ce n’est pas tout, puisque « depuis est arrivée l’idée d’exploiter l’hydrogène sous forme liquide, pour des questions de quantité d’énergie. Avec du gaz, il aurait fallu rallonger de deux mètres les voitures. Avec l’hydrogène liquide, on gagne environ 40 % de volume ». Le bolide Mission H24 « en est à sa troisième évolution, toujours avec une PAC H2. On veut atteindre les performances des GT3, c’est-à-dire pouvoir réaliser dans les quatre minutes le tour du circuit ».
Débordant carrément du cadre de la compétition, cette ambition se subdivise en trois volets : « Nous voulons déjà nous servir de ce laboratoire pour créer le règlement spécifique à la compétition hydrogène. Il s’agit ensuite de promouvoir un écosystème local. Au Mans, nous avons investi dans une station qui est située à proximité de l’aéroport. Elle alimente déjà un autobus. Ils seront bientôt dix, en plus de bennes à ordures ménagères ». Et le troisième volet ? « Nous voulons pousser la Commission européenne à ne pas investir uniquement dans l’électrique à batteries ».
« Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ». Au cours de son intervention, Pierre Fillon a rebondi sur cette formule bien connue et employée un peu plus tôt par François Gemenne pour justifier la vision d’un mix d’énergies vertueuses, pas seulement pour la mobilité de demain, mais avec une large place pour l’hydrogène. Le climatologue espère lui aussi des avancées au niveau européen, notamment pour « une stratégie européenne, et non 27 stratégies nationales toutes différentes et mal connectées ». C’est selon lui une condition pour bénéficier d’une énergie suffisamment abondante afin de répondre aux « besoins qui ne feront qu’augmenter au fil du temps ».
Autre point commun dans le discours des deux intervenants, le poids des climato-sceptiques qui freinent la transition énergétique. Ils seraient « entre 30 et 40 %, à différents niveaux ». Le président de l’ACO a, lui, un angle différent pour regarder vers demain, confirmé par les 300 élèves et étudiants embarqués en 2025 dans le challenge EcoGreen : « Les jeunes sont sensibles à la décarbonation de la mobilité et veulent préparer le futur. On n’a de toute façon pas le choix ».

La dernière génération de Mission H24, la H24EVO, a été introduite en 2023
Permettre aux Français d’investir
Le programme Mission H24 vise aussi à préparer pour tous la mobilité de demain : « L’hydrogène pour Monsieur Tout-le-monde, oui, j’y crois. Je pense que ça commencera par le transport lourd. Les Chinois préparent déjà des autoroutes à hydrogène pour que les camions puissent traverser le pays d’est en ouest et du nord au sud ». Ce qui pourrait aussi profiter aux véhicules légers : « Pour la ville, l’électrique à batterie, ça marche déjà bien. L’hydrogène, c’est pas mal aussi pour les longs déplacements. Il est aussi possible de décarboner les trains avec, et peut-être les avions plus tard ».Booster la mobilité avec la molécule hydrogène suppose encore aujourd’hui des aides pour bien lancer la machine. Est-ce possible avec l’actuelle situation financière de la France ? « Arrêtons de nous imaginer plus pauvres que nous ne le sommes. En France, il y a entre 6 000 et 8 000 milliards d’euros d’épargne », a mis en avant un peu plus tôt François Gemenne : « Il faut permettre aux Français d’investir dans les énergies renouvelables. Ils seraient contents de savoir que leur épargne leur rapporte et sert les entreprises du pays ».
Pour le climatologue, les vrais freins inquiétants actuellement, ce sont les déclarations de Donald Trump sur la scène internationale et la valse-hésitation de l’Europe et des Etats membres : « Deux pas en avant et trois pas en arrière, c’est un message d’incertitude et d’instabilité qui est envoyé aux investisseurs. Comme ArcelorMittal en ce moment, ils ont besoin d’une vision stable sur 15-20 ans de la législation et du prix des énergies ».